Histoires vraies, catalogue d'exposition, MAC VAL, Vitry-sur-Seine, 2023

Une même visée caractérise tous les travaux de Yan Tomaszewski : reconfigurer l’existant, tant sur le plan matériel qu’intellectuel, en pointant ses conditionnements et en repoussant ses limites. Cet horizon traverse les différents domaines convoqués par l’artiste, tels que l’alpinisme, l’archéologie, l’astronomie ou la chirurgie esthétique, qui deviennent entre ses mains autant d’instruments de spéculation narrative.

Spéculatifs, ces récits trouvent néanmoins leur point d’ancrage dans des faits et des personnes bien réels. Par exemple : Mieczyslaw Szczuka, un artiste constructiviste polonais, décédé en 1927 lors d’une ascension dans les Tatras, dont l’oeuvre a presque entièrement disparu ; ou encore, la comète Tchourioumov-Guérassimenko, sur laquelle une sonde a été envoyée en 2004 pour étayer la thèse selon laquelle la vie sur Terre serait due à l’apport de matériaux cométaires ; enfin, Nowa Huta (La Nouvelle Forge), une cité industrielle construite selon l’idéal stalinien, près de Cracovie, sur un ancien site du néolithique et de l’âge du bronze. Autant de sujets donnant lieu à des recréations semi-fictives sous forme de vidéos, d’installations et de sculptures, où les ambitions révolutionnaires du constructivisme rencontrent la conquête des cimes, où notre condition terrestre est réécrite par les astres et l’alchimie, et où le projet d’une ville utopique semble annoncé par la découverte d’objets préhistoriques en métal. Plus récemment, l’artiste s’est penché sur une figure qui explore le dépassement des limites en chair et en os. Il s’agit d’Oli London, un.e influenceureuse britanique ayant procédé à de multiples opérations plastiques afin de ressembler à son idole, Jimin, une star de la K-pop. Dans le film Gangnam Beauty (2021), Yan Tomaszewski entrelace le récit de cet.te influenceureuse à un conte coréen du xiiie siècle : ce dernier narre l’histoire d’un sculpteur ayant reçu l’ordre de produire quatorze masques à l’abri des regards, sous peine de mort, afin de sauver son village de la colère des dieux. Oli London y joue son propre rôle ainsi que celui du personnage coréen. La fabrication des masques chamaniques, conçus à partir d’une matière extrêmement labile, friable et translucide comme de la cire, entre alors en résonance avec son propre processus de transformation physique, comme si cette légende préfigurait la plasticité des identités contemporaines. Mais c’est également la fin tragique du jeune sculpteur, mort pour avoir été surpris par sa bien-aimée, qui fait écho aux réactions suscitées par Oli London sur les réseaux sociaux ; encensé.e par certains internautes, iel est démoli.e par d’autres pour cause d’appropriation culturelle. Du conte coréen à la vie d’Oli London, il est question de regards : ceux de tiers auxquels la vie ou la mort, réelle ou symbolique, est suspendue. Où la quête de « beauté » de ce.tte jeune Britannique, toute dévolue à l’approbation médiatique, est menacée par sa propre chute, en cas de désapprobation – la nouvelle colère des dieux.

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