Le Quotidien de l’art, n°619, 6 juin 2014

Alpiniste, Yan Tomaszewski l’est corps et âme, autant qu’artiste. Pas étonnant que ce jeune français trentenaire ait su dénicher dans les confins reculés de l’histoire du XXe siècle un conte d’art et de hauts sommets qui semblait écrit pour lui. Il était une fois, donc, Mieczyslaw Szczuka, un sculpteur constructiviste polonais, né en 1898 et mort prématurément à l’âge de 29 ans, lors d’une ascension dans les Tatras. Si sa mémoire est honorée dans son pays natal, elle n’a guère traversé les frontières, et pour cause : « Il ne reste de son œuvre que quelques travaux sur papier, des collages, et trois photographies floues témoignant de sculptures disparues, explique Yan Tomaszewski. Mieczyslaw Szczuka a détruit une grande part de sa création, et le reste a été anéanti par la guerre ». Que faire, dès lors, « de cet objet fictionnel prêt à l’emploi » ?

Car, comme moi, vous pensez l’histoire inventée ? Pas du tout, les archives attestent de l’existence de Szczuka, assure son découvreur : « J’ai été intéressé par l’élan brisé de sa création, énergie qui se transpose dans le domaine de l’escalade, confie-t-il, après avoir décidé d’incarner lui- même l’ascension fatale dans un film ensuite vieilli, comme s’il avait été tourné dans les années 1920. Ce sport est surtout une philosophie, une vision du monde qui permet d’embrayer sur d’autres choses, qui me sert d’analogie et de métaphore ». À partir des trois clichés témoignant du travail de Szczuka, il a ensuite décidé de les produire réellement, en trois dimensions, « tout en sachant le projet voué à l’échec, et cela importe peu ». Ainsi sont nées trois dynamiques sculptures de bois et d’acier, pas si éloignées des utopies d’un El Lissitzky. Pièces dont Yan Tomaszewski a confié la photographie au complice Aurélien Mole, artiste mais aussi spécialiste de la photo d’accrochage. Puis, lors de son exposition à la galerie Asymetria de Varsovie, à un autre photographe. Quant au galeriste, il avait pour mission « d’organiser et réorganiser les pièces comme bon lui semblait, comme du mobilier, dans l’idée d’un art utilitaire qu’agréait leur créateur originel ». Ainsi leur fantôme se brouille à nouveau, dans cette chaîne de transmission que l’artiste souhaite prolonger encore.

Prométhéenne aussi, sa grimpette pleine d’humour et de poésie sur les montagnes de déchets laissées par l’usine détruite de l’île Seguin. En tenue de randonnée, l’artiste crapahute avec ardeur, architecte fantasmé qui tient dans sa main les plans du Musée pour une île déserte qu’il rêve de construire sur ce terrain vague de la mémoire ouvrière. Un de ses temples est au cœur d’un autre beau projet. Quand il a exposé à Montrouge en 2011, Yan Tomaszewski a préféré, plutôt que de montrer son travail, offrir son stand « au plus jeune artiste jamais présenté dans le salon » : Kevin, 14 ans, passionné par la mémoire des mines de charbon de ce Nord qui l’a vu naître. De dessins en maquettes Lego, les deux compères vont ensemble en 2012 jusqu’à Manifesta 9 à Genk (Belgique), qui a justement le charbon pour motif. « Pour moi, ce gamin est un alter ego, nous partageons les mêmes racines, et je pense que nous allons continuer ensemble, pour prolonger cette polyphonie », estime l’artiste. Une dimension qui le passionne, et qu’il fait résonner des cimes au tréfonds de la terre.

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